mercredi 15 novembre 2006

Monsieur Muffler, conscience sociale et Boeing Bleu De Mer

Depuis maintenant un quinzaine de lunes, je me promène majoritairement dans la froidure des rues montréalaises de la même façon que nos lointains ancêtres de la savane africaine filaient le gibier et se sauvaient comme des pleutres au moindre bruit suspect. À pied. Avec des souliers cependant, à la différence de nos hirsutes et peu loquaces aïeux. Et aussi à quelques autres différences prêt, quoiqu'en dise Horloge Biologique.

Mais bon, ce n'est pas du tout de ça que je voulais parler. Revenons à nos Mufflers.

Car c'est bien de ça qu'il s'agit. Il y a deux semaines donc, je voguais allégrement, porté par une franche brise sur la 40 ouest dans ma semi-carcasse bleue poudre, pied au plancher, musique dans le tapis et sourire dans le vent. Bon, mettons. En tout cas. Vif comme l'éclair, tel Alexander Ovechkin devant Patrice Brisebois et Gino Odjick, je contourne une Ferrari, une Lotus et je prends la longue et langoureuse sortie vers le Ikea, oui celui dans l'ouessst, là. Je me rendais dans le temple des meubles pas chers à monter soi-même dans l'intention non pas de transformer mon appartement en catalogue, mais bien de me procurer une table pour manger, et des chaises, pour manger aussi. (Je mange des meubles, vous voyez).

Tout à coup, par-dessus la guitare tranchante et décidée d'un quelconque groupe indie rock à la mode qui s'escrimait à défoncer mes haut-parleurs fatigués, mes pauvres tympans sont agressés, assaillis, horripilés par le son de plus en plus insistant d'un MUFFLER PÉTÉ. Vous savez, le genre de son qui vous fait frapper à répétition le volant (qui ne vous a pourtant rien fait et qui entretenait même une conversation brillante et des manières léchées jusque là) et à vociférer plusieurs éléments du vocabulaire ecclésiastique. Fort. En bavant un peu.

Retour à la maison, donc. Plus question de dépenser un chèque de paie au complet sur une table, aussi rectangulaire et en bois pressé soit-elle. Plus tard, après être passé par pas un, mais deux valeureux représentants de la chaîne Monsieur Muffler fermés la fin de semaine, je stationne mon épave et m'en retourne dans mes quartiers, l'air dépité.

Lundi matin, courageusement et ne reculant devant rien, je prend un paquet de choses à deux mains (pas juste mon courage, donc) et je me rend au Monsieur Silencieux le plus proche. Le sympathique motoriste moustachu qui m'y accueille me rend le pronostic, après scrutation des blessures et examen des éraflures: 500$. Je retiens l'impulsion soudaine de l'assommer avec mon gourdin, qui reste sagement dans mon froc.

Deux semaines plus tard, mon compte de banque n'est toujours pas débité de 500$, et mon Grand Boeing Bleu de Mer un peu rouillé est toujours immobilisé dans une cour, se préparant mentalement à y passer l'hiver, seul, rejeté, mais serein.

Et moi, à ma grande surprise, je ne m'en ennuie pas du tout. Je me promène en ville dans l'autre Grand Boeing Bleu de Mer à plusieurs wagons, où les températures tropicales inexplicables au mois de janvier et les regards langoureux de parfaites inconnues en sont le pain quotidien (bon mettons pour la première partie, la seconde, je l'ai peut-être imaginée). Je me procure ma pitance et mes provisions non pas au supermarché impersonnel avec stationnement, mais bien à la petite épicerie bio sympathique grano-Villeray-plateau-21e siècle du coin. Je marche, je profite de l'air pas si pur mais si pire de notre métropole mêlée, je relaxe, donc.

Et je me rappelle cet été, l'aiguille de mon radiateur dans le rouge, l'essence aussi dans le rouge mais de l'autre côté, moi en retard au travail, du café renversé sur ma chemise blanche, du stress, du bruit, des klaxons, des travaux. Et je souris. Je ne regarde presque plus le prix de l'essence lorsque je passe devant une station-service, habitude séculaire du conducteur moderne.

J'ai même l'impression d'avoir fait un pas de plus pour m'éloigner de l'ancêtre poilu dont je parlais plus tôt. L'évolution, sans monoxyde de carbone.

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