mercredi 7 février 2007

Parlons un peu des vraies affaires

Notre capacité à comprendre et décoder un langage évolue beaucoup à travers le temps. Vous n'avez qu'à regarder une publicité des années 50 pour vous en convaincre. La surexposition à une forme précise de langage rend les récepteurs plus sophistiqués, plus demandants face à la complexité et à la densité du message. Rien de nouveau, vous me direz. J'ai quand même le goût d'en parler, alors voilà.

La publicité télévisuelle offre l'exemple parfait, parce qu'elle est très proche de son message, l'intention de ce dernier est en fait son unique raison d'être. Du coup, la plupart des gens supportent mal un message publicitaire trop évident, convenu, ou surtout, un message publicitaire qui se prend trop au sérieux, qui fait, en quelque sorte, comme s'il était autre chose que de la pub. Il y a bien sûr des exceptions, mais en général, les campagnes qui fonctionnent le plus, les plus mémorables et efficaces, sont selon moi celles qui jouent avec le langage, qui font des clin d'oeil aux téléspectateurs, dans le genre "nous savons que vous êtes bombardés de publicité de tous les angles, alors nous allons essayer de vous proposer quelque chose de nouveau, surprenant et qui ne vous prend pas pour des machines à consommer". Famili-Prix, Monsieur B., St-Hubert sont des exemples retentissants et "bien de chez nous"(TM).

L'évolution dont je parle se fait également sentir en "dramaturgie" (mot que j'utilise pour désigner toute forme de récit non-littéraire), surtout au cinéma. Récemment, j'ai visionné le film "Silent Running", science-fiction écologiste de Douglas Trumbull (oui, le gars de 2001) fabriqué dans l'an de grâce 1972. Ce qu'on appelle aujourd'hui la subtilité, le goût, la restrainte dans le traitement d'un "sujet" ou d'un thème (ici la conscience écologique et la destruction des forêts) sont totalement absents du film. Du coup, le message ne passe pas en 2006. Pas pour un enfant de la surmédiatisation, surinformation et de surproblématisation (ok, on se calme Dr. Scrabble). Je veux dire par ce dernier mot affreux l'inondation de "causes", problèmes de conscience omniprésents dans le paysage médiatique depuis 30 ans. En 1972, dénoncer quelque chose de "socio-écologique" avec un film était nouveau, audacieux et faisait "jeune". Aujourd'hui, il faut tout faire avec tact, subtilité, sans perdre une once du contenu du message. Inutile de dire que ce n'est pas facile.

Million Dollar Baby, par exemple, parle assez éloquemment du même thème que A Sea Inside (courez louer ça immédiatement si vous ne l'avez pas vu). Les deux réussissent admirablement, mais l'approche plus machiavélique de Million dollar baby passe un peu moins bien à mon avis, on sent plus la main de l'auteur ayant quelque chose à dire derrière. Et notre génération, pluguée sur les médias directement à la sortie de l'utérus, a des réticences face à ce genre de traitement.

Notez que Clint Eastwood excelle normalement avec ce genre de récit. Un de mes films préférés de tous les temps est Unforgiven, qui a justement un message très fort contre la violence et soulignant le fait que ce n'est pas les armes qui la font, mais bien les hommes (et femmes) qui sont derrière.

La clé, selon votre humble et débutant serviteur, la réponse donc se trouve dans la rigueur dramatique. Si, dans Million Dollar Baby, nous avons de la difficulté devant la méchanceté extrême de la boxeuse assassine (l'adversaire), c'est parce que cest un Deus ex machina, une intervention gratuite, un événement non-annoncé qui ne sert qu'à l'avancement du récit, à prouver un point. Dans Unforgiven cependant, il est préparé pendant tout le film que le shériff joué par Gene Hackman est sanguinaire, violent et sans pitié pour les criminels. Le traitement qu'il réserve au personnage de Morgan Freeman n'est donc pas gratuit, ni très surprenant. La réaction du personnage d'Eastwood n'est également pas gratuite, on la prépare depuis le début du film. Eastwood est un tueur, profondément et naturellement violent. Une vie de violence ne s'efface pas en quelques années. Il suffit d'un seul événement pour faire ressurgir la brute sanguinaire sommeillant en lui. Pas de Deux Ex Machina ici.

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